«La loi sur la transparence un moyen de pression positif»

MAKING-OF Pour son reportage sur la start-up S3, Ludovic Rocchi a obtenu des documents confidentiels de l’armée. Selon lui, « les journalistes doivent plus utiliser la loi sur la transparence lors de sujets sensibles ».
La requête a été déposée le 25 avril 2018. Le but était de consulter des documents attestant les intérêts de l’armée pour l’achat d’un satellite « espion » de S3. Deux semaines plus tard, le DDPS a donné son feu vert, allant jusqu’à déclassifier certains documents.
Dans un reportage récemment diffusé à Temps Présent, Ludovic Rocchi et Xavier Nicol ont tenté de faire la lumière sur l’entreprise aérospatiale Swiss Space Systems (S3), basée à Payerne (VD) et mise en faillite fin 2016. Fondée en 2012 par Pascal Jaussi, la société ambitionnait de lancer des microsatellites à partir d’une navette dans l’espace. Elle avait proposé ses services à la Confédération. Les militaires étaient intéressés, mais aucun contrat n’a finalement été conclu.
Obtenir des informations confidentielles grâce à la loi sur la transparence semble avoir été un jeu d’enfant. Était-ce vraiment ainsi ?
Ludovic Rocchi : Il ne faut pas être dupe, ces informations ne sont pas venues d’elles-mêmes. Nous avons au préalable mené une enquête minutieuse, parlé avec de nombreux témoins et rassemblé des documents internes par différents canaux. A la fin, nous en savions énormément. Le DDPS n’a ainsi que pu confirmer nos recherches.
Pourquoi avez-vous encore fait appel à la loi sur la transparence ?
La version du DDPS ne concordait pas avec nos informations sur un point. L’armée affirmait que les négociations en vue de l’achat d’un satellite espion étaient restées « informelles ». C’est là que nous avons actionné la LTrans afin de voir les documents de tractation entre S3 et le Renseignement militaire.
La loi sur la transparence était-elle un outil de recherche parmi d’autres ?
Exactement. Nous avons recouru à la loi fédérale sur la transparence de manière ciblée. Ce n’est que vers la fin de nos recherches que nous avons demandé à accéder aux échanges écrits entre S3 et le service de renseignement de l’armée. Deux semaines après le dépôt de la requête, cinq documents nous sont parvenus. Certains ont été déclassifiés. Cependant, tous les noms ont été caviardés, dont celui de S3, ce qui est absurde. Nous savions exactement qui se cachaient derrière ces noircissements.
Comment expliquez-vous le fait d’avoir eu accès si facilement à ces documents ?
Faire preuve de transparence était aussi dans l’intérêt du DDPS. Cela a sûrement joué un rôle. Les militaires ont ainsi pu montrer qu’aucun contrat n’avait été signé. Parce que nous avions fait des recherches poussées en amont, nous étions en position de force. Si nous avions recouru à la LTrans en ayant peu d’informations, nous aurions probablement plutôt essuyé un refus.
C’est plutôt rare que la Confédération déclassifie des documents et les rende accessibles.
Absolument, surtout dans le domaine de la sécurité de l’Etat. C’est une jurisprudence qui doit servir à d’autres cas. Les journalistes ne doivent pas hésiter à recourir à la LTrans lorsqu’il s’agit d’un sujet sensible. Notre cas montre que les demandes d’accès qui touchent des domaines secrets ne sont pas forcément vouées à l’échec.
Quelles autres expériences avez-vous faites avec les lois sur la transparence ?
Ce sont des instruments importants pour les journalistes et je les défends. Toutefois, en 28 ans de carrière, je n’ai que peu fait appel à ces lois. J’ai souvent pu obtenir des informations par d’autres biais plus rapidement. Mais il faut les deux : un bon réseau et un outil juridique qui garantit l’accès aux informations. Les lois sur la transparence sont un moyen de pression, dans le sens positif du terme. Elles nous donnent, à nous journalistes, du poids, un poids dont nous avons besoin dans nos rapports avec les autorités.
Que faut-il améliorer au niveau de l’application de ces lois ?
Les délais pour traiter les requêtes sont problématiques. Les journalistes ont souvent besoin d’informations de manière très rapide. J’ai aussi pu constater que les cantons ont tendance à garder les documents sous le coude. C’est probablement par peur et manque d’expérience en la matière qu’ils appliquent moins consciencieusement le principe de la transparence que la Confédération. Il y a à ce niveau un certain retard à rattraper.
Interview: Julia Rippstein