Les fonds des centrales financent la crise du climat

L’argent pour le démantèlement des centrales nucléaires est investi dans des fonds. Ici un collaborateur de Mühleberg, récemment mise à l’arrêt. (Photo: Keystone/Peter Klaunzer)

Par Marcel Hänggi. Les exploitants de centrales nucléaires doivent thésauriser des milliards pour la décontaminatin future des sites. Un coup d’œil dans le portefeuille des fonds de désaffectation montre où cet argent est placé.

Pour une enquête en lien avec l’arrêt de la centrale de Mühleberg, je me suis demandé comment les exploitants des centrales nucléaires investissaient les milliards qu’ils doivent mettre de côté pour le démantèlement des sites et l’élimination des déchets radioactifs: placent-ils l’argent dans une économie durable?

Une autre question se pose: l’énergie nucléaire, souvent présentée comme respectueuse du climat, contribue-t-elle à financer, par le biais de ces provisions, la crise climatique? Et que se passe-t-il lorsque la crise climatique est prise au sérieux et que les compagnies pétrolières et les usines de charbon sont dépréciées? Le portefeuille de l’énergie nucléaire perd-il lui aussi de la valeur de sorte que l’élimination de ses traces ne puisse plus être financée?

J’ai posé ces questions à l’automne 2018 au Fonds de désaffectation et de gestion des déchets radioactifs (STENFO), qui gère les provisions des centrales nucléaires. La réponse: «on ne sait pas, car l’argent est investi de manière passive». Dans le jargon boursier, cela signifie que le STENFO ne décide pas lui-même dans quels titres il investit l’argent, mais passe pour ce faire par des gestionnaires de fortune.

Souhaitant en savoir plus malgré tout, j’ai fait une demande d’accès au printemps 2019 en vertu de la Loi sur la transparence (LTrans). Même si aucun document relatif à ma question n’existe, le STENFO est tenu par l’art. 5 al. 2 (LTrans) de créer un tel document. En effet, sont compris comme documents officiels aussi ceux qui peuvent être établis par un simple traitement numérique sur la base d’informations enregistrées.

La commission de gestion du STENFO a accepté ma requête, information que j’ai toutefois reçue plus de quatre mois plus tard. Elle m’est parvenue sous forme d’une épaisse pile de papier. Loin d’être idéal pour faire analyser les données par un spécialiste en conseil financier. Il me les fallait sous forme électronique, d’autant plus vu leur volume. Un appel au directeur du STENFO m’apprend que c’était une décision délibérée de la commission de gestion de me transmettre les informations sur papier uniquement. J’ai rétorqué que cela m’empêchait d’analyser les données; le directeur a ri et dit que la commission en était bien consciente. Il était immédiatement clair qu’on ne voulait pas me faciliter le travail.

La LTrans ne précise pas sous quelle forme les autorités doivent fournir un document. Toutefois, les deux commentaires dans la loi y relatifs sont d’accord sur un point: le demandeur d’accès a le droit de choisir la forme. Le STENFO devait donc me livrer les informations sous forme électronique.

Le STENFO n’a effectivement divulgué que 23%, soit à peine un quart, de son portefeuille: pour le reste, il n’a indiqué que les «Benchmarks», soit les indices boursiers, selon lesquels les gestionnaires de fortune mandatés par le STENFO s’orientent. Pour éviter un conflit de longue haleine, j’ai renoncé à obtenir la publication de tous les titres. Les informations reçues suffisaient à se faire une idée des investissements. Le résultat de l’analyse du portefeuille du STENFO a été publié dans la WOZ du 9 janvier. Les fonds des centrales mis de côté contribuent bien à financer la crise climatique. Le STENFO détient des actions de la plupart des grandes compagnies pétrolières et de gaz naturel. Dans la partie non publiée du portefeuille se trouvent très probablement des actions des plus grosses sociétés de charbon. Et si l’accord de Paris sur le climat de 2015 est mis en œuvre, le portefeuille du STENFO perdra en l’espace de quinze ans 5 à 8% de sa valeur, selon les estimations du conseiller financier mandaté. De l’argent qui manquera quand il s’agira de se débarrasser des traces laissées par les centrales nucléaires.


Document obtenu I: Portefeuille du fonds de désaffectation

Document obtenu II: Portefeuille du fonds de gestion des déchets radioactifs

 


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